BD à-ouvrir-pour-rire-ou-pour-pleurer : « Tokyo » de Joann Sfar

L’album dont je viens vous causer aujourd’hui m’a inspiré une catégorie spéciale pour mon blog : « à ouvrir pour rire ou pour pleurer ». C’est effectivement les deux états que j’ai traversés en lisant le nouvel album de Joann Sfar, « Tokyo », publié par Dargaud.

Droits @ Dargaud @ Joann Sfar

Non, mais, sérieusement, qu’est-ce qui lui a pris ?! Bonhomme, soyons francs, tu nous as fait une farce là ? C’est la crise d’adolescence qui repousse ? Je préfère le dire tout de suite, j’aime beaucoup le travail de cet auteur. De « Grand Vampire » au « Chat du Rabbin », en passant par « Les Sardines de l’Espace » ou « Les Lumières de la France ». J’ai aimé son film sur Gainsbourg. J’ai aimé tout ce que j’ai lu, le trait vif, dynamique, le ton parfois décalé, espiègle. Et là, soudain, c’est le drame. A la lecture de « Tokyo », mes yeux sont sortis de leurs orbites, mes cheveux sont tombés par terre, je me suis mise à mousser de la lippe et j’ai dû courir aux toilettes prise de haut-le-coeur. Je me suis demandée ce que j’avais fait pour mériter ça. Puis je me suis rappelée que je n’avais pas eu à payer pour subir cet outrage. Ca m‘a un peu consolée.  Un peu…

Droits @ Dargaud @ Joann Sfar

Premièrement, on ne comprend RIEN tant l’histoire est décousue et, il faut bien l‘avouer, d‘aucun intérêt. Deuxièmement, les couleurs flashy vont au-delà de l’indigeste. Et pour finir, Sfar a eu l’idée saugrenue d’incruster dans la BD des photos de pin-up au rabais tout droit sorties d’un vieux « film de boules » vaguement érotique. Le rendu graphique n’est pas même intéressant, ça ne fonctionne pas, c’est cheap et d’une laideur inégalée. Concrètement, ça n’exciterait pas un lecteur de SAS… Je pense que l’auteur a tenté de produire un ouvrage décomplexé, hommage à la série Z, avec du sexe, de la violence, du ‘vas-y j’en ai rien à foutre, je me lâche’. Seulement, ce n’est pas en écrivant ’viens sur le parking que je t’encule’ qu’on prouve quoique ce soit à qui que ce soit. On tombe juste dans le ridicule. Après ça, il va falloir cravacher sévère pour se faire pardonner par ses lecteurs. Tu nous as fait du mal Joann… Et pis, tu t’es fait du mal à toi-même, le temps d’un caprice. Parce que c’est ça, un petit caprice d’auteur qui a du talent et qui veut montrer qu’il fait ce qu’il veut. J’ai une pensée émue pour Dargaud, qui n’a sans doute publié cette croûte que pour garder un auteubankable dans son cheptel… La question du regard critique, professionnel et impartial de l’éditeur se pose. Cher éditeur, tu aurais dû faire ton boulot de sélectionneur éclairé en disant NON. Ton image en pâtit tout autant. Me concernant, je vous le dis tout net, je vais faire mon travail qui ne consiste pas qu’à faire du chiffre. Je vais fortement déconseiller la lecture de cet ouvrage à mes clients. Question de crédibilité et d‘intégrité. Deux notions qui font que les gens vous suivent. CQFD.

Droits @ Dargaud @ Joann Sfar

Le petit sticker « Pour lecteurs avertis » sur la couverture devrait éventuellement déclencher quelques ventes. Les retours d’invendus vont être colossaux. On tourne à plus de 5000 nouveautés par an en librairie spé BD. Si vous, auteurs et éditeurs, aviez l’obligeance de nous faire grâce de ce type de production creuse et dommageable pour nos yeux et intellect, ça serait top. Tout le monde y gagnerait. Vraiment.
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32 commentaires pour BD à-ouvrir-pour-rire-ou-pour-pleurer : « Tokyo » de Joann Sfar

  1. claaps dit :

    Reçu 5 sur 5. J’ai feuilleté ça hier. Bravo pour le coup de gueule.Je passe…

  2. Chouette, des économies en perspective !

  3. Charles Vanquickenborne dit :

    Bon ben on va suivre l’avis.
    Noway. Never.

  4. Hell Nino dit :

    j’ai trouvé que c’était un très bon album. Un délire Régressif et jouissif. Effectivement, l’histoire est ténue, mais il y a des essais narratifs puissants, et de bons personnages. Je pense par contre que ce genre d’oeuvre n’est pas pour le grand public effectivement.

    • Marie Rameau dit :

      J’avoue que je suis assez contente d’avoir un avis contradictoire. Franchement, si l’album trouve son public, tant mieux. J’avoue que je ne pensais pas que c’était possible. Je ne fais pourtant pas partie du « grand public » habituellement, loin s’en faut. Il y a de très bonnes choses dans ce type de BD déjantées, jouissives et j’en suis friande. Quelques exemples : « Lorna » de Brüno, « Doggy Bags » chez Ankama, « Apocalypse sur Carson City » de Gryffon, etc…

      • Hell Nino dit :

        Oui, J’aime aussi Doggy Bags (même si je trouve le Tome 2 un peu en dessous). Je ne parlais pas du « Grand Public » en voulant insulter le lectorat, ou en parlant de toi. Mais C’est justement le fait que Sfar nous ait fait autre chose que de la BD ancrée dans la nostalgie des EC Comics et des B-Movies des 70s-80s tout en s’y rapportant qui m’a tellement plu. Sa narration relève des spasmes, la répétition de certaines scènes (comme du déja-vu), les sauts d’un héros à l’autre ressemblent, tout cela ressemble à un rêve (ou un cauchemar plutôt) duquel on est prisonnier (comme dans un vrai quoi). Non, vraiment, je suis très impressioné par cette BD qui fait de réels essais sur le medium sans sombrer dans un intellectualisme mortifère. C’est une expérience pour le lecteur. Pour parler un peu vulgairement : C’est complètement décoincé du cucu.

      • Marie Rameau dit :

        Oki doki ! J’ai noté toutes ces tentatives effectivement. Seulement j’ai trouvé qu’il se gauffrait sur chacune d’entre elles. Comme quoi…

  5. Hell Nino dit :

    Rien à voir, mais j’aime beaucoup l’épitaphe du poète devenu bandeau-titre de ton blog.

  6. Hell Nino dit :

    J’avoue que j’en ai lu pas mal, oui ! 🙂

    • Marie Rameau dit :

      Alors tu as dû voir que j’en ai chroniqué un fraîchement sorti ?

      • Hell Nino dit :

        oui, je n’ai pas encore lu le dernier sorti, mais je pense que je vais me laisser tenter. Si tu aimes ce genre d’auteur, je te recommande chaudement John Fante. J’en ai lu 2 très différents l’un de l’autre : Demande à la poussière,et Le vin de la jeunesse. Bukowski dit que c’est en lisant John Fante qu’il s’est décidé à écrire. Si tu cherches l’émotion, lis le vin de la Jeunesse (c’est un peu le « Souvenirs d’un pas grand chose » de Fante), si c’est la lueur du désespoir lit « Demande à la poussière ». Bon évidemment il y a de l’émotion dans les deux.

      • Marie Rameau dit :

        Oui, déjà lu du Fante. Comme je ne le vois pas dans ta liste, tu devrais essayer « Mon chien stupide », si ça n’est pas déjà fait. Et tu devrais trouver très largement ton compte en lisant « Karoo » de Steve Tesich. Et si tu aimes le genre pop-pulp, lance-toi dans « Artères Souterraines » de Warren Ellis. 😉

  7. Hell Nino dit :

    merci pour tes conseils ! Warren Ellis je connais bien en BD, mais pas en roman.

    • Marie Rameau dit :

      Alors, tu vas te régaler ! Ellis sort un prochain roman en janvier prochain « Gun Machine », en anglais pour le moment. Ca a déjà été racheté avant sa sortie par la Fox qui va en faire une série télé. « Artères Souterraines » est édité par Au Diable Vauvert.

  8. claaps dit :

    Concernant les réels essais sur le médium BD en insérant des photos, rien de neuf sous le soleil. C’est uniquement du recyclage d’idées graphiques qui avaient cours très régulièrement dans Métal Hurlant ou Hara Kiri (pour le mauvais goût et la provoc). Ce qui m’énerve profondément chez Johann Sfar, c’est le côté gestion de carrière du personnage. Voici un dessinateur qui fait de la BD au kilomètre depuis les années 90 tout en soignant ses plans médias. Tout le monde va se l’arracher et notre Johann va pouvoir se la jouer auteur rebelle régressif sur France Inter. On ne manquera pas de rappeler sa participation aux décors de l’expo Brassens et son film onirique en carton pâte sur Gainsbourg, et gna gna gna et gna gna gna. Tout est en place pour une belle recette jackpot. Chacun ira acheter son exemplaire avec le petit sticker rouge en bombant le torse avec le masque de la vengeance pour afficher son côté indigné. Quelle rigolade! Quel est le tirage pour un tel machin chez Dargaud? 300 000,500 000 exemplaires? C’est de la rébellion en tube. Sfar est à des années lumières des vrais aristocrates de la provocation, les Crumb, les Schlingo, les Ouin, les
    Jano.. Il a très bien assimilé les politiques éditoriales des éditeurs qui ciblent les amateurs avant tout comme des consommateurs. Terminé l’ère des pionniers qui voulait faire de la BD un vecteur de liberté. Tu me sors ta série coco et tu me la prévois sur trente tomes! Quand j’écris que je passe, c’est qu’effectivement Johann Sfar, j’ai tout passé. Bon allez, je file il est temps pour moi de prendre mes gouttes pour le palpitant 🙂

    • Marie Rameau dit :

      DAMN ! On dirait bien qu’il fallait que ça sorte ! Ahahahah ! Ca va mieux ? 😉
      Je ne te suis pas sur la « gestion de carrière » et les « plans média ». Je ne crois pas que l’ambition ne soit que mauvaise. Quand le travail promu est bien fait. Après, c’est sûr que prétendre que cet album serait « subversif » fait gentiment sourire…

  9. claaps dit :

    Keuf, keuf! Tousse, tousse! Respiration…
    Bien entendu que l’ambition est louable. Il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique, voire de la Manche pour se rendre compte que qualité et popularité peuvent rimer. OK, Johann Sfar a développé son style graphique personnel et il a du talent. Les styles de BD sur le marché sont suffisamment variés pour que chacun puisse s’y retrouver mais j’avoue ne pas avoir eu de résonnance particulière avec ses albums. Cependant comme disait Charlier « Un bon scénario peut sauver un mauvais dessin, mais un bon dessin ne sauve jamais un mauvais scénario ». Ce que je reproche un peu à la BD franco-belge actuelle, c’est d’avoir créé des stars à Angoulême qui perdent de vue le respect de leur lectorat généralement atteint de collectionite aigüe. Chaque expression de l’Artiste est attendue, commentée et relayée médiatiquement. Parallèlement à cela, tu as des artistes/artisans comme Andréas qui dans la plus grande discrétion continuent à sortir des albums (Capricorne 16 est en attente ce mois ci) avec des exigences graphiques et scénaristiques nettement supérieures (on m’a fait la réflexion à la FNAC que la série n’était pas tenue en stock car trop pointue! un comble!). J’achète pour ma part de la BD chaque semaine depuis que je suis en age d’avoir de l’argent de poche. Je ne souhaite pas tomber dans la nostalgie du c’était mieux avant car sincèrement je ne le pense pas. Il se passe toujours des choses très sympa dans le domaine mais pas forcément sur les têtes de gondoles. Parfois un peu de recul sur ce qui s’est fait en matière de liberté de ton peut être aussi nécessaire. Pour l’exemple, il suffit de relire « Kraken » de Bernet et Segura qui vient d’être réédité chez Drugstore pour voir un réel hommage aux séries B.
    Screugneugneu, j’ai pas bien dormi cette nuit.

    • Marie Rameau dit :

      Pour ma part, je ne reproche pas grand chose à la BD franco-belge actuelle. Chacun peut y trouver son compte. Créer des stars est un des travers de notre époque, BD ou pas. Et je préfère des stars qui ont le mérite de produire quelque chose, contrairement à d’autres individus à l’imbécillité crasse qui poussent régulièrement sur le petit écran. Tu ne m’entendras pas dire « c’était mieux avant », parce que c’est simplement faux. Je serai même tentée de dire l’inverse. Je ne suis pas tombée dans la BD étant petite, c’est venu sur le tard. Donc pas de nostalgie aucune chez moi. Et je n’ai pas non plus d’affection particulière pour les couronnés « Maîtres de la BD ». Tout ça est bien subjectif.
      Ici, ni Dieu, ni Maître. J’attrape une BD, je la lis, j’aime ou je déteste, je le dis. Et la demi-teinte, je la laisse à l’indifférence.

  10. Francois Pincemi dit :

    Cet album mérite d’avoir le Prix du pire bouquin de l’année.

  11. claaps dit :

    J’ai pas dit c’était mieux avant!
    J’ai pas dit c’était mieux avant!
    Et j’ai encore moins parlé de la télé.
    Nous sommes bien d’accord et si je polémique un peu radicalement c’est que le sujet BD est sensible chez moi et évidemment toujours subjectif. Mon intérêt pour la BD est toujours intact mais s’est plutôt déplacé vers les comics car j’y retrouve de vrais exigences scénaristiques qui me correspondent plus. Au final, c’est une affaire de passion qui s’accommode assez mal de la tiédeur 😉

  12. nicolasg dit :

    En grand amoureux du Pascin de Joann Sfar, je suis ici bien mitigé mais je vais tenter modestement de prendre sa défense. Il est vrai que d’apparence, Tokyo a tout l’air d’être une BD franco belge «classique» dans le sens où l’on s’attends à une histoire construite. C’est peut être ici que certains lecteurs peuvent se sentir trompés sur la marchandise car en vérité, je trouve que Tokyo se rapproche d’avantage des carnets de Joann Sfar plutôt que de ses récits habituels. Peut être que si Tokyo s’était appelé « Carnet de défoulement graphique et d’essais narratifs » alors la pilule serait mieux passée.
    Pour ma part, d’un point de vue graphique, je ne suis pas fan des effets de texture qu’utilise le coloriste mais bon, ça reste dans le ton kitsch de la BD donc ça passe mais la narration marche plutôt pas mal et le dessin est toujours aussi beau. Le principe d’intégrer des photos me plaît et le ton décalé de la BD s’y prête vraiment mais il faut le faire à fond ou pas du tout et c’est peut-être pour ça que ça ne fonctionne pas…
    J’ai l’impression que Joann Sfar est un peu nostalgique des années « Metal Hurlant ». Il a eu envie de vraiment se lâcher et de mettre le propos de côté. Tokyo me fait penser à la SF d’anticipation des années 70 et plus particulièrement à Nécron de Magnus : de la baston du cul déviant qui recèlent inventivité et prouesse stylistique (à défaut de scénarios solides). Pour ma part, ça me va, je n’ai pas forcément eu ce à quoi je m’attendais mais ça reste quand même une BD de qualité.

    • Marie Rameau dit :

      Encore une fois, si des lecteurs y trouvent leur compte, c’est très bien. Je continue à penser que ça pue l’imposture même pas camouflée. Comparer ça à Necron, quand même… C’est pas bien sympa pour Magnus. Je sais que c’est dur de garder son esprit critique quand on aime énormément un auteur. Mais de là à se laisser cracher à la gueule et aimer ça, c’est pas le genre de la maison. D’où ma chronique. Je ne sais pas si certains d’entre vous ont lu le « coup de gueule » de Joann Sfar dans Télérama. Il vient de critiquer vertement toute l’industrie du cinéma français. Et même s’il n’a pas que tort dans ce qu’il dit, il serait bon qu’il redescende un peu sur terre. Le gonze a réalisé un film et il crache déjà dans la soupe ?! Avant de dire « FUCK » (parce qu’il veut plus de langue anglaise) au monde entier, qu’il recommence à honorer correctement le lectorat qui l’a poussé là où il est. Si ses lecteurs commencent à le lâcher, l’intelligentsia ne va pas tarder à en faire autant. Tu rapportes plus, t’as pas d’intérêt, ni de valeur, ni même plus de nom. Chronique d’une chute annoncée.

  13. La quasi unanimité contre cet album donne tout de même envie de le lire.

  14. Léna dit :

    Idem que toi. J’ai bien aimé lire ton article !
    Mais je n’avais déjà pas aimé Gainsbourg, ni Les lumières.
    Pour moi c’est un auteur surestimé.

  15. Léna dit :

    (ta super photo me fait sourire à chaque fois que j’ouvre ce post)
    C’est bizarre car quand je tape « sfar tokyo » je ne tombe pas sur ton blog why ???
    (j’ai mis un temps fou à te retrouver, mais là je t’ai mis dans mes favoris !)

    Pour infos et pour ceux que ça intéresse, un article qui peut complèter cet article :

    http://www.actualitte.com/critiques-bd/tokyo-de-joan-sfar-illisible-mais-pas-impubliable-malheureusement-1916.htm

    • Marie Rameau dit :

      Ah bon ?! C’est bien ça ! Je n’y suis pour rien !
      (si tu veux être prévenue à chaque nouvel article, tu peux t’inscrire en laissant ton mail. Tu ne recevras pas autre chose que l’avertissement à chaque nouvelle chronique)

  16. Ping : A ouvrir pour rire ou pour pleurer #2 : Stars of the Stars de Bagieu & Sfar | marierameau

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