Fervente amatrice de l’œuvre équestre de Bartabas, quelle ne fût pas ma surprise quand j’appris qu’il rejouait son spectacle à mi-chemin entre la danse contemporaine et le bûto, inspiré par le livre sulfureux du Comte de Lautréamont : Les Chants de Maldoror. Après m’avoir offert en novembre dernier une représentation autour du folklore mexicain et sa cavalcade de squelettes, le dresseur-charmeur de chevaux m’invite à partager avec lui un ouvrage que j’adore depuis des années ! Pour cette occasion, Bartabas s’est associé avec Ko Murobushi, un des artistes de bûto les plus célèbres. Ils dansent aux côtés de Soutine, Pollock, Le Tintoret et Horizonte. Je viens de sortir de la Maison de la Culture de Bobigny (MC93) où se joue donc Le Centaure et L’Animal. Je suis encore sous le choc.
A ceux qui ne connaissent pas le texte, je serai tentée de les mettre en garde. Ouvrez le livre avant de prendre un billet. Si vous pensez assister à quelque chose de frais et léger, passez votre chemin. Avertissement également aux gentils parents qui voudraient sortir leurs bambins. La beauté sombre, méchante et la férocité du texte et de la mise en scène qui en découle ne conviennent pas à n‘importe qui. Le texte est récité méticuleusement, avec toute la volupté malsaine qui convient tandis que Ko Murobushi, Bartabas et ses doubles majestueux se répondent tous dans une transe ensorcelante. La stupéfiante poésie et l’harmonie venimeuse éclaboussent la chorégraphie. On entre en hypnose, observant ces corps, ces muscles, ces ombres aux mouvements tendus et aux spasmes maladifs. La scène est entourée de draps noirs et brillants. Aux pieds des spectateurs, une estrade blanche couverte de sable accueille un Murobushi entièrement peint d’argent. Quelle sordide élégance. Le poison délicieux des mots organiques de Lautréamont coule dans le sang des protagonistes. Humain ou animal, il n‘y a pas de différence. Les uns répondent aux autres et se fondent en une créature hydride. L‘équilibre frise la perfection. Le texte a parfaitement été digéré et retranscrit en diverses saynètes. Le lépreux ouvre le bal, le fantôme rouge râle de tout son mal, le pourceau se roule au sol en gémissant… L’hommage rendu ici aux Chants dépasse de très loin mes attentes. L’animalité, la mort et l’énergie désespérée des vivants soufflent ici en une tempête de beauté noire à l’état pur.
Comme Ko Murobushi pousse son art dans des retranchements extrêmes de contorsions, Bartabas s’élève à un rang d’artiste équestre jamais égalé. Lui, le centaure, nous expose sa vision, sa passion, le temps d’une prestation éblouissante et dense. Je n’avais jamais rien vu de tel. Il est fort possible que je retourne à la MC93 d’ici le 22 septembre, fin des représentations. Prise entre le frisson de plaisir et d’angoisse, entre le rêve puissant et le cauchemar, j’ai ressenti là comme une plongée abrupte au cœur du sommeil transcendantal. L’expérience était unique. L’instant, précieux. Simplement : merci.
Merci. Je n’ai rien à dire de plus que merci (j’hésitais à y aller !)
Au plaisir de te lire.
Je me suis surprise plusieurs fois à être bouche bée ! La chorégraphie est pleine de trouvailles visuelles. Oui, il faut voir ça… C’est merveilleux !