La BD franco-belge a une passion pour les histoires de première ou seconde guerre mondiale. On ne compte plus le nombre de séries avec la guerre pour toile de fond. Le sujet fascine toujours autant. Que s’affiche une croix gammée, un soldat, un fusil ou un avion en couverture et l’intérêt des lecteurs est assuré. Dans cette pléthore de titres plus ou moins semblables tant sur le fond que sur la forme, quelques albums sortent vraiment du lot. C’est le cas de « Les Folies Bergère » de Zidrou et Porcel publié par Dargaud.
Les Folies Bergère dont il est question ici est le surnom d’un régiment de poilus dans les tranchées. Les hommes, cloîtrés dans leur enfer de terre gluante et de sang, cherchent tous les moyens possibles de ne pas perdre la raison. Penser aux danseuses de cabaret est un moyen comme un autre. Aussi, tourner la guerre et les hauts gradés en dérision est un défouloir salutaire. A quelques mètres de l’ennemi, la fierté de défendre sa patrie s’estompe vite pour laisser place à la peur et au dégoût de tout. Entre deux assauts, les hommes regardent passer les déserteurs et autres mauvais soldats qui finiront alignés au peloton d’exécution. Mais comme un caillou dans la chaussure des hautes instances, le soldat Rubinstein absorbe les balles sans mourir. Ses plaies se referment sans plus de dégâts. Le mot miracle est prononcé. Difficile de croire en une quelconque présence divine en ces lieux.
En guise de respiration, différentes saynètes viennent jeter un peu de lumière sur le récit. Loin des champs de guerre, en marge de cette folie, Monet peint ses nénuphars et reçoit Clémenceau à déjeuner. Il s’interroge sur l’absurdité de peindre des fleurs quand d’autres agonisent. C’est son unique façon de combattre et que pourrait-il faire d’autre, lui, le vieux peintre ? Les couleurs de l’artiste reviendront par touches impressionnistes apporter un peu d’oxygène et de balance à la noirceur de la ligne de front. Tout comme le souvenir des femmes, qui accroche les hommes au désir de vivre, pour pouvoir les retrouver, pleurer dans leurs bras et être aimé.
« Les Folies Bergère » est un titre fort. La guerre y est dénoncée avec un réalisme cru que ponctuent différentes apparitions symboliques. On croise les fantômes éternels de la peur, de Dieu et du Diable en frères cyniques, de cette tendance sanguinaire qui ne lâche pas l’Homme. Le dessin, tout en tension, les tons de sépia et de gris impriment l’ambiance. Les quelques pages colorées évoquent les maigres beautés de l’humanité : la création artistique, l’amour, le partage. Des rubis vibrants entourés de boue qui nous donnent une raison de continuer sinon d’espérer.
Très bel album aussi bien sur le plan graphique qu’en tant qu’objet d’édition. Prendre pour thème la première guerre mondiale et la traiter graphiquement en noir et blanc est assez périlleux. Le lecteur est facilement enclin à comparer avec les albums de Jacques Tardi qui sont un peu les références traitant de la période. De surcroit, comment éviter l’hommage trop appuyé aux « Sentiers de la gloire » et à la dénonciation des absurdités de la guerre. Je trouve que Porcel et Zidrou ont su s’affranchir de ces références pour nous dresser un tableau véritablement impressionniste de ce conflit par le biais des destins de ces soldats . A tel point que l’onirisme et la réalité se confondent. Puisque tout est absurde, il n’est pas surprenant qu’un fusillé résiste aux balles, qu’une femme de soldat enlace une silhouette de rouge à lèvre, que la question de savoir si Monet sais dessiner les grenouilles ou pas se pose. En revanche, je m’interroge sur l’utilité du prologue que tu as scanné ci-dessus. Mais bon, cela n’ôte rien au charme de cet album
J’aime énormément ce prologue justement. Comme une histoire courte en avant propos.
Tu n’as jamais pensé à faire des chroniques BD sur ton blog plutôt qu’en commentaire sur le mien ? En te lisant, j’ai eu l’impression de subir les ajouts de Maître Capello ! 😉
Mon problème pour les chroniques BD c’est quand même … que je suis nettement moins photogénique que toi devant une couverture d’album. Loin de te faire subir des ajouts (d’ailleurs je me demande bien si tu es quelqu’un prête à subir quoi que ce soit de qui que ce soit sans riposter), j’abonde généralement dans ton sens lorsque je partage tes enthousiasmes ou coups de gueule. Je ne pratique quasiment pas internet hors du bureau (cette réponse est donc honteusement défalquée de mon temps de travail) car j’ai toujours ou une bonne BD/bouquin à lire ou relire, ou un album à écouter. Alors, je déconnecte du réseau sans aucune ombre de remords. Mon blog est tenu un peu en contrebande. Chroniquer de la BD et arriver avec une pile d’albums sous le bras le matin au bureau pour scanner des cases, faut voir… Comme tu déballes toutes les nouveautés en librairie ton avis est forcément précieux. Qui plus est, je pense que je serais nettement moins bon que toi à faire partager mes engouements. Mais promis, je vais me secouer un peu sinon je risque d’attraper des cheveux blancs et de devoir me les teindre comme Maitre Capello.
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