Jeff Lemire a un don particulier. Celui de rendre extraordinaires des personnages ordinaires. Il pétrit ses univers à partir de matériaux simples et les transforme en joyaux. « Jack Joseph – Soudeur sous-marin » est paru il y a peu chez Futuropolis. Assurez-vous que votre masque est en bonne place et que l’oxygène parvient bien à votre bouche. On commence l’immersion.
Jack Joseph a 33 ans. C’est exactement l’âge qu’avait son père lorsqu’il est mort noyé de façon étrange, le soir d’Halloween. On approche justement de cette date anniversaire et la femme de Jack est à quelques jours d’accoucher. Mais plutôt que de vouloir rester aux côtés de sa femme, Jack n’a qu’une idée en tête : retourner sur la plateforme où il est soudeur sous-marin. Il y a quelque chose qui le met mal à l’aise quand il est à terre et ça, personne ne le comprend vraiment. Un jour qu’il est en plongée, il aperçoit un objet brillant affleurer sur le sable. Il descend, il croit reconnaître l’objet, une montre à gousset, mais ça n’est pas possible…
Un tourbillon de souvenirs l’emprisonne auprès de la montre, au fond de l’eau. Secouru de justesse avant l’asphyxie, Jack est emmené à l’hôpital. Mais une partie de lui n’est visiblement pas remontée. Il veut coûte que coûte récupérer l’objet de son tourment. Lié au souvenir de son père, la montre va lui faire oublier sa vie et son avenir familial. C’est le soir d’Halloween. Jack a le même âge que son père et il décide de retourner au large chercher son trésor. Le passé laisse parfois des traces qui éclipsent le bonheur que l’on a à portée de main. Se détacher des pas de nos parents est le plus gros effort jamais fourni et, pourtant, notre seul salut.
Avec ce titre, Jeff Lemire nous emporte dans une de ces histoires dont il a le secret. Le héros n’en est pas un. Son parcours lui a coupé les ailes. D’où l’attachement qu’on développe pour Jack au fil du récit. Ses blessures suscitent chez le lecteur une empathie quasi immédiate. On tombe dans le rêve/cauchemar éveillé du personnage. Mais il y a toujours beaucoup de lumière dans ce que produit Lemire. Ce n’est pas misérabiliste. Ca nous envoie dans une dimension parallèle, à mi chemin entre réalité et songe, entre passé et présent. Pari une fois de plus remporté. « Jack Joseph – Soudeur sous-marin » est un conte brillant.