Ce qu’on aime chez Batman, c’est surtout ses ennemis. Et le plus emblématique de tous est un terrain de jeu passionnant quand on est un scénariste de polar comme Brian Azzarello. Sous le graphisme baroque de Lee Bermejo, le Joker fait état d’un charisme magistral qui n’a d’égal que sa folie. L’anarchie et la violence sont au rendez-vous dans cet épisode réservé au plus apprécié des vilains de DC Comics. « Joker » vient d’être réédité par Urban Comics pour notre plus grand bonheur. Dîtes « CHEESE » !
Le Joker est de retour dans Gotham. Après des années enfermé dans les cages de l’Asile d’Arkham, il a trouvé un moyen réglo pour sortir par la grande porte. Mais un Joker sain d’esprit, vous en conviendrez, ça ne se peut pas. Il a juste berné les bonnes personnes ou trouvé une bonne blague qui a su faire mouche. Durant son absence, tout le monde s’est partagé le gateau. Du Pingouin à Harvey Dent, des caïds de quartier aux plus gros calibres, chacun a pris sa part du butin. Et surtout la part du Joker. Et ça a du mal à passer, vous voyez. Papa Sourire revient et il compte bien récupérer ce qui lui est dû. Le grand soir de sa libération, personne ne se bouscule pour aller le chercher. Les branques ont fait ripaille n’importe comment pendant l’absence du Grand méchant Loup et ils flippent de se voir réprimander.
Tout le monde sait que quand le Joker veut s’éclater, il rit à gorge déployée en ouvrant large celle des autres à coup de rasoir. C’est donc Johnny Frost qui se propose en temps que chauffeur. Ce nom ne vous dit rien, normal, Johnny est une petite frappe qui voit là l’occasion de sa vie pour monter plus vite l’échelle hiérarchique du crime. Il est ambitieux au point de se mettre au service de ce fou furieux et indomptable qu’est le Joker. Johnny a eu une vie de merde, de petits coups en séjour derrière les barreaux. Il s’excuse presque d’être ce qu’il est tant il se dégoute. Il forme un binome schizophrénique avec le monstre charismatique à l’allure inimitable et désinvolte… Ils vont tous deux sillonner les bas-fonds pour réaffirmer par la terreur la suprémacie du Joker. Ce qui ne va pas être du goût de Double-Face, entre autres. Un face à face à face au sommet. Ou plutôt le plus loin possible de l’ombre de Batman, qui n’est jamais très éloigné du taré à l’éternel et malsain rictus.
Cet album est pour moi une des meilleures mises en scène du Joker, avec bien entendu The Killing Joke d’Alan Moore, dans un autre esprit. Le personnage prend là toute son ampleur. Sa folie, sa frénésie, ses caprices apparaissent au lecteur sans détours. Il est fascinant, effrayant et irrésistible. Ce sourire terrible en guise de couverture devient le symbole douloureux de ce Joker qui ne connaît pas de code ni de morale. Il est le chaos incarné, le libre-arbître effrainé, obscur, sordide. Pas de Batman sans Joker, il est indispensable. « Joker » est un chef d’oeuvre graphique et scénaristique qui a clairement sa place sur les étagères chargées de tout bédéphile et comicsophile qui se respecte.