La vie quotidienne d’un libraire est faite de tonnes de BD déposées, rangées, classées à la chaîne. Ca pèse. Ca use. Seulement, de temps en temps, on ouvre un carton de nouveautés et tout se fait plus léger. Le livre que vous attendiez avec impatience est là, rutilant, bien emballé. Il n’attend qu’à être lu et savouré. J’ai tout fraîchement reçu et dégusté Love in Vain de Mezzo et J.M. Dupont aux Editions Glénat. Quelle merveille…
Love in Vain, c’est le titre d’une chanson de Robert Johnson (1911-1938), le bluesman maudit qui ouvrit funestement le Club des 27. Mezzo et Dupont nous proposent ici sa biographie dans un magnifique objet à l’italienne, dos toilé, beau papier épais et noir & blanc sans concession. La légende du blues est un personnage trouble, entouré de mythes. Abandonné par son père, puis plus tard par sa mère, Robert a grandi comme poussent les mauvaises herbes. Sans réel intérêt pour l’école, pas plus pour le labeur dans les champs de coton, il rêve rapidement de jouer de la guitare et de chanter.
Très tôt marié, Dieu continue de se rire de lui en lui infligeant la mort en couches de sa femme et du bébé. Si Dieu semble tourner le dos à Robert et le mettre incessamment à l’épreuve, il en est un autre qui le convoite. Le Diable rôde dès qu’on évoque le nom de Robert Johnson. Il se dit que le musicien médiocre à ses débuts aurait vendu son âme au Malin pour pouvoir jouer divinement de la guitare. Pacte conclu ou non, il fit des progrès fulgurants, croisant la route des plus grands bluesmen de l’époque et surtout d’innombrables amantes. De son Mississippi natal à Chicago, puis de retour aux sources, Johnson a brûlé ses ailes dans l’alcool, dans cet amour dévorant pour les femmes et la musique.
A travers cet album, on est assailli de sensations. On sent la poussière, la sueur, la fumée. On goûte les alcools bon marché qui écorchent la gorge et brûlent le ventre. On entend cette musique qui hurle une douleur de vivre bien réelle. Un désespoir inconsolable d’écorché vif. A chaque case, on s’émeut pour cet homme au talent immense et au destin terrible. Terrible et fascinant. Encore un chef d’œuvre graphique de la part de Mezzo, dont le trait était taillé pour le sujet. Que vous soyez un amateur de blues ou non importe peu. Dans le premier cas, vous reconnaîtrez des noms que vous chérissez. Dans le second, prenez des notes et découvrez des artistes sans qui la musique actuelle n’existerait pas. Et je laisse à votre lecture le plaisir de découvrir l’identité du narrateur qui ne se dévoile qu’en toute fin d’ouvrage.
Mezzo a un style très influencé par Crumb. Cela est encore plus visible sur ce travail qui traite d’un bluesman légendaire comme Crumb l’avait fait notamment avec Charley PATTON.
Crumb est d’ailleurs dans les remerciements.
Mince, je croyais que c’était des Stones…
Cette chronique m’a donné envie de le lire. J’ai bien Mezzo mais je trouvais cet ouvrage un peu trop sombre, je ne m’étais pas décidé. Là j’ai vraiment envie de franchir le pas, j’ai même hâte de le lire.
Il vient de gagner le prix de l’album de l’année décerné par les libraires spé BD
J’ai vu ça, mais il y a tellement de prix… Moi je suis perdu dans tout ça. Trop de prix, tue les prix.
Bon ok, libraires spé BD c’est quand même des spécialistes… Allez, je vais jeter un coup d’œil sur les prix décernés, pour voir si je m’y retrouve. C’est également possible que j’ai juste de mauvais gouts 🙂
Ha bah non en fait, il n’y a que « love in vain » et « mort au Tsar » que je n’ai pas lu de la sélection 2015. Finalement, je dois pas avoir de si mauvais gouts. Ravi pour Larcenet et sa mention spéciale, c’est amplement mérité.
🙂