[BD] Monsieur désire ? de Hubert et Virginie Augustin

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Oui, oui, je sais, ça fait un moment que je n’avais plus rien écrit. Il y a, voyez-vous, que j’ai une fâcheuse tendance à me lasser. Plus ou moins rapidement. Mais. Il y a souvent un mais qui se cache aux alentours d’une phrase. Mais, après ma lecture de cet après-midi, s’est pointée l’envie de vous parler de cet album. Monsieur désire ? de Hubert et Virginie Augustin, publié par Glénat. Par peur qu’il ne vous échappe.

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L’Angleterre victorienne en toile de fond. Lisbeth, une jeune bonne, entre au service d’un aristocrate à la réputation sulfureuse. Edouard, dégrossi dès les premières heures de sa puberté par une dame de haut-rang bien plus âgée que lui, emploie son temps au libertinage et aux provocations diverses. Irritant, orgueilleux, il jouit à droite à gauche. Que ses proies soient de sa classe sociale ou pas, du sexe opposé ou non, il n’en a cure. Il n’a d’égards que pour ses propres heures de gloire. Le reste, c’est du détail et des dommages collatéraux dont il se fout, au propre comme au figuré.

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Un soir où il rentre fort éméché et criblé des coups que quelques coquins lui auront asséné pour le détrousser, Lisbeth va le récupérer, le soigner et le mettre au lit, en toute discrétion. Intrigué par cette nouvelle figure qu’il n’avait pas encore remarquée chez lui, Edouard ordonne que la jeune femme s’occupe de lui chaque soir où il rentrera tard. Systématiquement. Dans la maison, cela bouscule l’ordre et les règles rigides. Les rumeurs enflent. Puis s’amplifient alors que Lisbeth est régulièrement appelée auprès du Maître pour de simples conversations. Ca ne se fait tout bonnement pas ! D’ailleurs, Lisbeth ne correspond pas aux critères physiques habituellement prisés par le Dom Juan de service… Son visage est relativement grossier. Son allure est banale. Il y a bien ce regard au bleu profond, plein de franchise et le fait qu’elle ne s’effarouche jamais de quoique ce soit, tout en gardant une distance propre à sa condition… Mais quand même… A quoi peut bien jouer le bel aristocrate ?

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Si on pense à Jane Eyre et à d’autres fresques de la littérature romantique anglaise, on trouve dans ce « Monsieur désire ? » une poésie espiègle propre à la plume du scénariste. Hubert, qu’on a aimé dans Miss Pas Touche, Petit, Beauté et tellement d’autres récits, nous revient ici avec une petite pépite, dont vous ne devinerez pas l’issue à l’avance. Accompagné du dessin tout en finesse et en légèreté de Virginie Augustin, ce segment de vie nous raconte beaucoup de choses. Comment les mœurs d’une certaine partie de la société ont impacté les autres classes. Comment le libertinage en pratique fût doucement pointé du doigt puis mis au ban. Quelle condition de vie pour les femmes, de la noblesse ou de classe inférieure. L’album est d’ailleurs augmenté d’un précis illustré sur la vie à Londres en ces temps, sur la morale victorienne, les us des aristocrates et des domestiques. Cette histoire et le goût qu’elle laisse en bouche ont une résonance d’une cruelle actualité. Rien n’a véritablement changé. Les costumes, peut-être. Le niveau de langage, occasionnellement. Mais pour le reste…

Une vraie belle découverte. Même si en ouvrant un album écrit par Hubert, on sait qu’on a peu de risque d’être déçu.

Couverture de l'édition en noir & blanc dos toilé, augmentée d'un cahier graphique

Couverture de l’édition en noir & blanc dos toilé, augmentée d’un cahier graphique

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Ah ! Même pas morte !

 

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Salut salut. Y a-t-il encore du monde par là ? Possible. Alors je vais vous dire quoi mettre entre vos oreilles cette fois-ci. Du rock psyché sexy et sombre en Diable, c’est bon pour ce que vous avez. Dîtes pas non, c’est un fait. Même si vous n’en êtes pas conscients.

The Cult of Dom Keller. Dernier gros gros coup de coeur. Le nouvel album Goodbye to the Light est sorti il y a un mois. Les buddies de Nottingham seront en concert à Paris le 7 septembre prochain à l’Espace B.

Et si ça vous fait naturellement friser la moustache de plaisir, veuillez poursuivre l’écoute avec le projet solo du chanteur, Ryan Delgaudio, Cathode Ray Eyes.

Enjoy.

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[BD] Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel

 

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Je commence à me demander si je n’ai pas une fascination pour les auteurs qui boivent. Il suffit de lire la bannière de mon blog et le titre de l’album que je viens vous présenter aujourd’hui. Je vous ai déjà parlé des Editions Monsieur Toussaint Louverture, pour Karoo. Alors oui, habituellement ils font du « livre sans image »… Mais pas cette fois, Mesdames Messieurs ! MTL s’attaque au roman graphique. Et, comme prévu, « Alcoolique » de Jonathan Ames et Dean Haspiel est un réel coup de cœur. C’est bien, les vrais éditeurs avec une ligne éditoriale digne de ce nom… C’est rare…

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Dès le début du récit, le ton est donné. Le narrateur et personnage principal Jonathan A. se trouve à l’arrière d’une voiture en train de se faire peloter par une vieille dame ridiculement petite, au milieu d’un bric à brac sans nom et de quelques chats. Il est passablement éméché et ne se souvient plus vraiment de ce qui l’a amené à ce point d’orgue de sa vie sexuelle et sentimentale. S’adressant à nous, lecteurs, il va remonter le fil de sa vie pour nous proposer une lecture des événements marquants qui ont fait de lui un alcoolique à deux doigts de se faire sucer par mémé.

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Tout commence en 1979. Il a 15 ans. C’est un ado normal et c’est bien le problème. Lors d’une soirée entre potes, il découvre l’alcool. A la première gorgée, Jonathan trouve ça ignoble. Puis très vite, le goût n’a plus aucune importance et c’est l’état d’euphorie qui prend le pas. Il se sent cool pour la première fois de sa vie et décide de se retourner la tête méthodiquement tous les week ends avec son ami d’enfance Sal. Se réveiller dans son vomi ne l’effraie pas. Mentir à ses parents en évoquant une pizza qui n’est pas passée non plus. Le fait est qu’il est bon élève et plutôt sportif. Personne ne soupçonne rien. Il découvre Las Vegas Parano de Hunter S. Thompson, puis Sur la route de Kerouac. Il lit son rêve au fil des pages : devenir un auteur génial et alcoolique. S’en suivent ses années d’études à Yale, puis, quelques années plus tard, la publication de son premier roman. Le tout parsemé d’histoires d’amour pour le moins chaotiques et destructrices et de coups du sort concoctés avec un sadisme savant par cette chienne de vie.

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Qui dit récit autobiographique dit narcissisme, certes, et l’auteur l’avoue volontiers. Mais quand c’est fait avec autant d’honnêteté, quand l’humour, la lucidité et l’autodérision font partie de la palette, la lecture vaut très franchement le détour. Jonathan Ames s’écrit en loser magnifique, baladé par les femmes, meurtri par le destin. Il ne s’épargne pas, s’égratigne et se révèle profondément attachant. Le dessin de Dean Haspiel est impeccable et accompagne fabuleusement la voix du scénariste. Résumer l’album à son titre et à l’alcoolisme serait une erreur. Ce bouquin est un témoignage de la vie, son absurdité, ses montagnes russes entre Paradis et Enfer du quotidien. C’est parfois beau comme un premier baiser, parfois trash comme une diarrhée soudaine qu’on arrive pas à contenir. Eh ! La vie, quoi.

Ca rappelle Harvey Pekar et Crumb, Bukowski et Fante. C’est un excellent moment de lecture, tendre, acide et profond.

Ouais ben, vous savez quoi faire maintenant. Foncez chez votre libraire. Hophohop ! Plus vite que ça !

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[BD] Les Equinoxes de Pedrosa

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Oui, il l’a refait. Il a recommencé. J’ai même le sentiment que c’est encore mieux qu’avec Portugal. Ben si… Ca m’a refait le truc de la chaleur là, l’impression d’être enveloppée par quelque chose de familier et de réconfortant… Oh pardon ! Vous êtes là. Je me parlais toute seule. Ca m’arrive souvent. Je soliloque. Je m’émeus tout haut de ce que je viens de lire. Et ça, ça ne m’arrive pas aussi souvent, malheureusement.

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Alors oui, je voudrais bien vous donner un pitch bien saucissonné pour vous résumer  l’album. Avec des phrases qui tuent. Aller à l’efficace, à l’essentiel. Etre vendeur. Avec un sourire de winner. Mais non. J’ai pas envie et je pense que j’en suis incapable, là, tout de suite. Je viens de prendre une châtaigne émotionnelle. Et si j’ai l’air de faire un câlin au bouquin sur la photo au-dessus, là, c’est pas juste une impression. OUI JE FAIS DES CALINS AUX LIVRES. ‘fin, pas à tous, je suis pas une lectrice facile. On se calme.

Attendez. Je reprends, je prends du recul. Je peux le faire. Inspirer. Expirer.

 

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Edité par Dupuis dans la collection Aire Libre, les Equinoxes est une galerie de portraits croisés. Des existences de papier, avec des vies suspendues à on ne sait quoi. Pas grand chose. Des souvenirs. Des espoirs. Des rencontres. Des émotions ou des absences d’émotion. Un sentiment de raté. D’être passé à côté. De ne pas avoir vu. De ne pas avoir trouvé de but ou de sens. D’avoir eu peur de voir un sens et de le suivre. Sur plus de 300 pages, le temps du récit est frappé à la mesure de quatre saisons. D’aujourd’hui et d’hier, il y a une heure ou plusieurs milliers d’années en arrière. Ces histoires semblent toutes reliées par des ponts, sans franchement l’être pourtant. Les protagonistes ont échangé des parcelles de vie, des années ou des instants, un regard. Mais ce qui cimente le récit c’est le lecteur. Comme dans son ouvrage précédent, « Portugal », Cyril Pedrosa arrive à tirer le lecteur à lui. La force de son écriture réside là et dans la grâce absolue de son dessin et de sa superbe palette colorée. Il attrape le lecteur solidement et l’hypnotise littéralement. On est en train de se lire dans le trait d’un autre. On voit notre visage dans le visage de chaque personnage. Ces doutes, ces questions… Je les ai déjà eus, bien sûr. Je sais de quoi tu me parles. Tu es sûr que ce n’est pas moi qui parle ? Comment tu sais que ça se passe comme ça ? Ca me touche que tu écrives comme je ressens. Je me sens… moins seul. Putain. Je me sens moins seul…

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J’ai encore dérapé. J’ai essayé pourtant de rester concentrée et de pas dégueuler du pathos. Mais je suis chamboulée… alors je fais pas semblant.

Bon. Merci, Monsieur Pedrosa. C’est tout ce que j’ai à dire de plus. Et que tout le monde achète ce livre aussi.

Foncez.

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[BD] Velue par Tanx

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Je vous ai dit que mes poils poussaient en abondance à la pleine lune et que je me mettais à grogner ? Bon, ben c’est fait. Alors pas si étonnant que le titre de l’album suivant ait fait écho en moi. Entre une nouvelle sérigraphie et un coup de gueule, Tanx vient nous proposer son dernier ouvrage : « Velue » aux éditions Six Pieds sous terre. Y en a pas tant que ça des auteurs qui se sortent les tripes comme elle sait le faire. Raison de plus pour en parler.

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Isabelle est née avec un problème. Enfin… certains diront un problème, d’autres diront une différence. L’hérédité maternelle lui a légué un cadeau empoisonné : l’hirsutisme. Dès son plus jeune âge, elle comprend à travers le regard de son père qui l’élève seul, puis à l’école dans les yeux des autres enfants, que quelque chose cloche. Renfrognée, Isabelle est surprotégée par ce père névrosé qui ne sait pas comment préserver la petite. Il la déscolarise rapidement pour éviter les soucis.

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Isolée, elle trimbale son secret, sa malédiction, derrière un visage fermé qui ne connait pas le sourire. Malgré tout, les années passent et le huis-clos s’achève avec l’entrée au lycée de l’adolescente qui se fait difficile et agressive. Premier petit copain, désir de liberté, besoin d’assumer qui elle est, elle pense être en mesure de se faire accepter sans plus utiliser son rasoir toutes les heures. Elle laisse aller. Elle laisse pousser. La stupéfaction passée, arrivent les moqueries, la mise à l’écart, le rejet.

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Isabelle décide de poursuivre sa route, les dents serrées, la tête haute. Les poings fermés. Est-ce que le personnage choisit de se mettre à la marge ou est-ce qu’elle est mise à la marge par les autres ? Quelles sont ses alternatives de vie ? Les réponses résident sans doute dans le caractère sauvage de cette écorchée vive.

« Velue » est une fresque sans compromis sur ce qu’est la différence et se sentir différent. Tanx(xx) porte un regard lucide, si ce n’est acide, sur ses congénères prompts à se dégoûter d’un détail physique sans chercher à voir sous la surface des choses. On sent un refus de la superficialité. Un refus forcené et engagé qu’il est bon de lire, à contre-sens des autoroutes d’idées convenues. Il y a de la revendication là-dedans. Une rage sourde, aussi. Et pour ça, merci.

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Le tumblr de l’auteur : http://tanxxx.tumblr.com/

Le site web qui va avec : http://tanxxx.free.fr/

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[BD] Tyler Cross 2 de Brüno et Nury

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AAAAAAAAAAAAH ! He is back !

Joie intense ! Tyler est de retour les amis ! Alors je sais, les vacances sont finies, tout le monde retourne au turbin en geignant, les fournitures scolaires, le train-train, le métro, la pollution, la pluie, fais chier, tout ça. Mais. MAIS ! Le meilleur salopard au sang froid inégalé revient lui aussi. Et c’est LA bonne nouvelle du mois !

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Vous voyez, vous vous sentez déjà mieux ! Donc vous allez me demander : qu’est-ce qu’il lui arrive cette fois ?! Sans trop gâcher le suspens, il suffit de regarder la couv’. Tyler est au trou. Dans le fameux centre pénitencier d’Angola. Aux US, en Louisiane, pas en Afrique. Oui, je précise au cas où les neurones seraient restés au bord de la piscine du tonton chez qui vous étiez en vacances. Qu’est-ce que Tyler Cross a bien foutu pour se mettre dans de beaux draps comme ça… ? Un plan foireux. Encore. Il avait pourtant de quoi voir venir, une baraque, une petite pépé. Seulement l’attrait du plan zéro risque garanti sur facture a été plus fort. Une arnaque à l’assurance : on vide le coffre d’un joaillier qui est dans le coup et on touche le pactole.

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Vous êtes Tyler Cross, sûr de vous, on vous dit que la plantureuse Iris sera à vos côtés et qu’implicitement ça vous promet quelques sympathiques parties de jambes en l’air en bonus… Vous acceptez sans sourciller. Sauf que ça, c’est sur le papier. Et si Tyler passe effectivement par la case lit avec la belle, il va finir en prison sans toucher la prime. Si c’était trop facile, il n’y aurait pas d’histoire à raconter, aussi. Cerise sur le gâteau, notre cher tueur/braqueur/voyou/*ajoutez le nom de pourriture de votre choix* est attendu de pied ferme à Angola. C’est qu’après des années passées à faire des saloperies, on ne se fait pas que des amis. Et on n’enferme pas les tendres dans cette prison là. Un clan de mafieux digne des Affranchis a mis un contrat sur la tête de notre héros. Rien de tel pour titiller l’esprit fin bien que tordu de notre crapule charismatique et délicieuse. Tyler, tu es le prototype du bad guy que les hommes rêveraient d’être et que les femmes fantasmeraient de… Oui. Bon. Vous avez compris.

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Vous l’aurez deviné, j’ai passé un excellent moment en compagnie de Mr Cross. En bonne fan de Reservoir Dogs, de Scorsese ou des Frères Coen, j’en ai eu pour mon argent (que je n’ai pas dépensé, ah ben ouais, je suis toujours libraire, ça a ses avantages). Le dessin est toujours millimétré, le scénar est au cordeau. C’est imparable. Ca a de la gueule. Ca fait vraiment plaisir. Ca arrache un sourire sur ta gueule de déterré qui n’a pas du tout envie de retrouver son triste siège de bureau, la grisaille de l’automne qui s’approche et le vilain costume poussiéreux de ton patron. Allez. File acheter ce bel album chez ton libraire. Ca t’aidera à faire passer la pilule. Promis.

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[BD] Le Rapport de Brodeck de Manu Larcenet

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Et soudain, voilà. VOILA. Là, quelque chose se passe. L’excitation dès la découverte de l’objet. Le coup de foudre graphique. La tonalité impeccable. La poésie noire partout. L’être humain et ses ténèbres… Larcenet est de retour. Il adapte aux éditions Dargaud le roman de Philippe Claudel : Le Rapport de Brodeck. Et bon sang ! c’est une excellente raison pour venir vous en parler ici.

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Après la guerre, Brodeck est revenu des camps. Tel un fantôme, en marge des habitants de son village, il s’est doucement reconstruit autour de sa femme et de sa fille. Il habite à côté des autres, sans faire partie du groupe. Brodeck écrit des rapports sur la faune et la flore, c’est ainsi qu’il gagne sa vie. Sans faire de bruit, sans déranger. Une nuit qu’il part chercher du beurre à l’auberge, il trouve tous les hommes du village rassemblés là. La peur et la violence envahissent la pièce. Brodeck ressent chaque sentiment avec stupeur et hébétude. Ils sont tous là, ils ont ensemble commis un acte extrême.

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Depuis quelques temps, un étranger avait débarqué sans crier gare. Armé de son air apaisé et de son érudition, son carnet de dessins à la main, cet intrus avait réveillé quelque chose de mauvais chez les habitants. Sa différence avait suscité la défiance. Son altérité avait provoqué le rejet immédiat et définitif. Il allait se passer quelque chose, c’était une affaire de temps. Obligé. Il le fallait pour que tout revienne à la normale. Ce soir-là dans cette auberge, Brodeck est un innocent entouré de coupables.

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Dans cette ambiance de tension immense, où l’horreur devient tangible, on va ordonner à Brodeck d’écrire un rapport sur ce qui vient de se passer. Pour que les gens comprennent. Pour que tout soit bien entendu. Pour que les bourreaux soient blanchis et que les consciences ressortent immaculées. Sous la pression violente de l’assemblée, Brodeck ne peut qu’accepter.

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Comment décrire ce que je viens de lire ? Les mots me manquent presque pour décrire la beauté du dessin de Larcenet, sa capacité à développer une ambiance précise, acérée, pesante tout en restant poétique et foutrement belle, pardonnez-moi l’expression. Il y a dans cet ouvrage un naturalisme classique qu’on ne croise que très peu en bande dessinée, pas à ce niveau-là en tout cas. La justesse, l’homogénéité de l’ouvrage, tout est tenu. Il y a des moments de grand silence où la pensée est suspendue, où on entend la nature tandis que l’âme humaine se tord dans sa complexité, se recroqueville sur elle-même comme un linge sale qu’on vrille pour l’entendre crisser. Le noir et blanc est une évidence puisque c’est une histoire de francs contrastes. La noirceur de l’Homme et sa (rare) lumière. Format à l’italienne, beau papier épais, jaquette… Tout est parfait. Sauf qu’on doit attendre la parution du deuxième et ultime album pour connaître le dénouement de l’histoire. Délicieuse et impossible attente, Monsieur Larcenet ! Et, encore une fois, merci.

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My own private palmarès

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Comme ça ne va JAMAIS ce palmarès à Angoulême, comme CHAQUE ANNEE ça m’emmerde, eh bien cette année je fais mon palmarès « OFF ».

Parce que c’est comme ça, et puis c’est tout.

GRAND PRIX : Alan Moore

MEILLEUR ALBUM : Love in Vain de Mezzo et J-M. Dupont

PRIX SPECIAL DU JURY : Petit de Gatignol et Hubert

MEILLEURE SERIE : Locke & Key de G. Rodriguez et Joe Hill

MEILLEUR POLAR : Fatale de Cabanes et Manchette

PRIX PATRIMOINE : Sandman de Gaiman et tous les autres

PRIX REVELATION : La Fille Maudite du Capitaine Pirate de Jeremy A. Bastian

PRIX JEUNESSE : Le Petit Loup Rouge d’Amélie Fléchais

Voilà. Là, tout de suite, on se sent mieux.

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[BD] Petit de Hubert et Gatignol

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Ah ! Des contes ! Des fables ! Qu’elle joie d’ouvrir le dernier né de la collection Métamorphose ! Un bel écrin noir, gris et or qui renferme l’histoire de Petit, rejeton inattendu d’une famille d’ogres. Le récit est sorti de la tête pleine de merveilles de Hubert qui nous avait régalés avec Beauté chez Dupuis. Le dessin vibrant et baroque est de Bertrand Gatignol, remarqué sur Jeanne chez Dargaud.

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L’histoire se passe en des temps reculés, à l’époque des fées, des sorciers et des croyances obscures. Alors rien de plus normal que d’y côtoyer des ogres. Cette lignée d’ogres – terrifiant les humains qui font office de nourriture et de serviteurs – se dégrade naissance après naissance. Leur nombre restreint les a contraint à la consanguinité et plus les générations se suivent, plus elles sont exaspérantes de tares. Un beau jour, en plein banquet, la Reine est prise de maux de ventre. Son appétit de chair fraiche est empêché quand soudain, sans aucun signe annonciateur, elle accouche d’un garçon. Un si petit avorton ! Absolument intolérable pour un fils de Roi ogre ! Tout le monde se rue sur lui pour le dévorer et effacer cette honte pour la famille.

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Mais sa mère, plus rapide, s’empare de lui et le jette dans sa bouche énorme. Elle assure à tout le monde et au Roi, furieux, que tout est arrangé puisqu’elle l’a mangé. Elle fait mine d’aller se changer, puis recrache le minuscule enfant et court le cacher auprès de Desdée, une vieille ogresse enfermée au cachot à cause de son amour des humains. Ce n’est pas chose aisée que de naître entouré de barbares érigés en Dieux lorsqu’on possède une once de raffinement en soi ou qu’on est simplement différent. On ne choisit pas sa famille, ni son sang, ni ses gènes. Le nouveau-né baptisé Petit va l’apprendre année après année, son désir de sortir des quatre murs de sa prison protectrice allant grandissant.

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« Petit » est un vrai bonheur de lecture ! Les séquences dessinées sont entrecoupées de passages écrits. Ils précisent l’histoire des personnages qui ont marqué la généalogie de la lignée, depuis le Fondateur jusqu’au présent du récit. On est en plein récit moyenâgeux, avec ces saynètes qui pourraient être contées par un ménestrel et qui rythment l’évolution de Petit. L’ambiance qui se dégage de l’album est à mi-chemin entre lumière et obscurité. Les ogres sont dans leur majorité sauvages, vils et répugnants, tandis que d’autres protagonistes, Petit en chef de file, inspirent une vraie empathie. Cette fable initiatique est originale et surprenante, dessinée avec brio dans un style enlevé et vivant ! A vos librairies !

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BD : Love in Vain de Mezzo et J.M. Dupont

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La vie quotidienne d’un libraire est faite de tonnes de BD déposées, rangées, classées à la chaîne. Ca pèse. Ca use. Seulement, de temps en temps, on ouvre un carton de nouveautés et tout se fait plus léger. Le livre que vous attendiez avec impatience est là, rutilant, bien emballé. Il n’attend qu’à être lu et savouré. J’ai tout fraîchement reçu et dégusté Love in Vain de Mezzo et J.M. Dupont aux Editions Glénat. Quelle merveille…

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Love in Vain, c’est le titre d’une chanson de Robert Johnson (1911-1938), le bluesman maudit qui ouvrit funestement le Club des 27. Mezzo et Dupont nous proposent ici sa biographie dans un magnifique objet à l’italienne, dos toilé, beau papier épais et noir & blanc sans concession. La légende du blues est un personnage trouble, entouré de mythes. Abandonné par son père, puis plus tard par sa mère, Robert a grandi comme poussent les mauvaises herbes. Sans réel intérêt pour l’école, pas plus pour le labeur dans les champs de coton, il rêve rapidement de jouer de la guitare et de chanter.

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Très tôt marié, Dieu continue de se rire de lui en lui infligeant la mort en couches de sa femme et du bébé. Si Dieu semble tourner le dos à Robert et le mettre incessamment à l’épreuve, il en est un autre qui le convoite. Le Diable rôde dès qu’on évoque le nom de Robert Johnson. Il se dit que le musicien médiocre à ses débuts aurait vendu son âme au Malin pour pouvoir jouer divinement de la guitare. Pacte conclu ou non, il fit des progrès fulgurants, croisant la route des plus grands bluesmen de l’époque et surtout d’innombrables amantes. De son Mississippi natal à Chicago, puis de retour aux sources, Johnson a brûlé ses ailes dans l’alcool, dans cet amour dévorant pour les femmes et la musique.

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A travers cet album, on est assailli de sensations. On sent la poussière, la sueur, la fumée. On goûte les alcools bon marché qui écorchent la gorge et brûlent le ventre. On entend cette musique qui hurle une douleur de vivre bien réelle. Un désespoir inconsolable d’écorché vif. A chaque case, on s’émeut pour cet homme au talent immense et au destin terrible. Terrible et fascinant. Encore un chef d’œuvre graphique de la part de Mezzo, dont le trait était taillé pour le sujet. Que vous soyez un amateur de blues ou non importe peu. Dans le premier cas, vous reconnaîtrez des noms que vous chérissez. Dans le second, prenez des notes et découvrez des artistes sans qui la musique actuelle n’existerait pas. Et je laisse à votre lecture le plaisir de découvrir l’identité du narrateur qui ne se dévoile qu’en toute fin d’ouvrage.

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